Présidentielle en Guinée sur fond de tensions ethniques

Le Point

par Richard Valdmanis et Saliou Samb

CONAKRY (Reuters) - Après plusieurs décennies de régime autoritaire, les Guinéens se rendent aux urnes dimanche pour désigner leur président dans un second tour aux allures de duel potentiellement explosif entre Peuls et Malinkés, les deux principales communautés ethniques du pays.

Il s'agit des premières élections libres depuis l'indépendance acquise face à la France, ancienne puissance coloniale, en 1958.

Si ce second tour, plusieurs fois différé, se déroule sans violence, il pourrait marquer un tournant dans la vie politique de ce pays d'Afrique de l'Ouest riche en ressources minières. Mais les observateurs se montrent prudents face à un tel scénario, estimant que des affrontements ethniques demeurent possibles si les résultats du scrutin sont contestés.

A la mi-journée cependant, aucun incident n'était signalé. Dans Conakry, les opérations se déroulaient sans encombre dans les bureaux de vote où se sont rendus des journalistes de Reuters. Impression confirmée par un communiqué du général Yakubu Gowon, qui dirige la mission d'observation du Centre Carter pour les droits de l'homme et qui lui aussi a été témoin du calme prévalant.

Les Nations unies ont appelé cette semaine les deux candidats en lice, l'ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé, figure historique de l'opposition, à se garder d'"exploiter à des fins politiques l'ethnicité, la religion ou tout autre facteur de division".

Dans un communiqué commun diffusé vendredi, la France et les Etats-Unis leur ont demandé de "placer les intérêts nationaux de la Guinée au-dessus de leurs considérations personnelles, ethniques ou politiques".

"J'ai espoir en une élection libre, juste et pacifique qui mettra fin à des années de règne de l'impunité", a dit Alpha Condé après avoir voté à Mafanco, un faubourg de Conakry.

La campagne de ce second tour a été agitée, avec des heurts entre les deux camps politiques et des contestations sur les préparatifs électoraux qui ont entraîné un report des opérations de vote alors que le premier tour a eu lieu le 27 juin et que le second tour aurait initialement dû se dérouler le 18 juillet.

Les observateurs internationaux espèrent que les responsables électoraux ont réussi à établir les bases pour un vote libre et juste, limitant ainsi les risques de contestation pour fraudes de la part du perdant.

"J'ai la conviction que tout ce qui pouvait être fait l'a été. La commission électorale a fait de son mieux, même si bien sûr rien n'est parfait", a déclaré Saïd Djinnit, chef du bureau des Nations unies en Afrique de l'Ouest, joint au téléphone.

DIALLO FAVORI FACE À CONDÉ

Le vote de dimanche, dont les résultats seront connus dans les prochains jours, doit mettre fin à près de deux ans de régime militaire après le coup d'Etat de décembre 2008 qui avait fait suite au décès du président Lassana Conté.

Les deux candidats en lice sont issus de deux ethnies différentes. Diallo, membre de l'ethnie peule qui représente 40% de la population, est arrivé en tête du premier tour le 27 juin avec 43,69% des suffrages. Il part favori face à Condé, un Malinké comme 35% des Guinéens, qui n'a rassemblé sous son nom que 18,25% des voix et a contesté ce résultat comme frauduleux.

Les tensions entre les Peuls et les Malinkés sont anciennes et il semble qu'aucune des deux ethnies ne soit prête à accepter calmement la défaite de son candidat.

"Si Condé perd, c'est que l'élection aura été truquée", affirme Amadou Camara, un chauffeur de taxi partisan de Condé.

De leur côté, les Peuls jugent que les autres groupes ethniques se sont coalisés depuis l'indépendance pour les empêcher d'accéder au pouvoir. Il existe seize ethnies différentes en Guinée, dont la population totale est d'environ 10 millions d'habitants.

Les observateurs font remarquer qu'un retour de l'instabilité dans l'ancienne colonie française pourrait être contagieux et gagner les Etats voisins, Libéria, Sierra Leone et Côte d'Ivoire, qui sortent tous de guerres civiles.

Pierre Sérisier et Henri-Pierre André pour le service français


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