Madagascar : la crise à un tournant critique ?

International Crisis Group


Rapport Afrique N°16618 nov. 2010






SYNTHESE
Le climat politique est tendu à Madagascar alors que ce rapport est mis sous presse. La veille, le 17 novembre 2010, un groupe d'officiers a annoncé un coup d'Etat et a déclaré avoir mis en place un « Comité militaire pour le salut public ». Les autorités affirment avoir la situation sous contrôle et estiment que cette annonce n'était destinée qu'à perturber le référendum constitutionnel qui avait lieu le même jour. Le régime est confiant dans la victoire du « oui » sur sa proposition de constitution, alors que certaines irrégularités ont déjà été signalées. En coulisses, certaines sources expriment davantage d'inquiétude concernant la situation. Tout ce qui peut être affirmé avec certitude, c'est que ces derniers développements démontrent la fragilité de la longue crise malgache et la nécessité, comme décrit ci-dessous, d'adopter une nouvelle approche pour en sortir.
Madagascar s'enfonce dans une crise politique majeure. Les tentatives de médiation internationales et nationales ont à nouveau échoué en 2010, alors que la population s'appauvrit et que les structures de l'Etat se délitent. La Haute autorité de la transition (HAT) a entamé un processus de sortie de crise unilatéral, non reconnu par l'oppo sition et la communauté internationale, qui contestent toujours la légitimité du régime. Les acteurs qui auraient pu contribuer au déblocage de la situation n'y sont pas parvenus, ou ne l'ont pas voulu, alors que d'autres ont délibérément fait traîner la situation à leur avantage. Il est temps de mettre fin à toute tentative de médiation entre les différentes parties et de se concentrer sur le soutien à l'organisation d'élections crédibles, soumis au respect de conditions strictes.
Depuis le début de l'année et la fin de la médiation internationale conjointe, les tentatives de résolution de la crise n'ont mené qu'à une impasse. La gestion du pouvoir par les autorités actuelles est contestée et la corruption atteint un seuil critique. Le président de la HAT, Andry Rajoelina, suit les pas de son prédécesseur, Marc Ravalomanana, dans la collusion entre les intérêts publics et privés, qu'il dénonçait ardemment avant de prendre le pouvoir. L'absence de règles et d'autorité qui caractérise le régime aggrave ces pratiques.
Le soutien de nombreux partis politiques opportunistes confère une impression trompeuse d'inclusivité au processus de transition que les autorités ont mis en œuvre. Mais le régime est aux commandes de ce qui est en réalité un processus unilatéral, confiant dans la possibilité de trouver les financements nécessaires pour mener à bien son plan.
Ce scénario présente des risques importants. Si les autorités persistent dans l'organisation unilatérale d'élections en 2011, la communauté internationale refusera certainement de reconnaître le nouveau régime et la crise pourrait durer encore plusieurs années, avec des conséquences désastreuses pour le pays et la population. Madagascar se trouve dans un équilibre précaire, avec un risque élevé d'explosion sociale et ne peut pas se permettre d'être isolé du reste du monde.
Les tentatives de médiation pour une gestion inclusive de la transition ont toutes achoppé sur un refus de réaliser des compromis et il est désormais temps d'y mettre un terme. Il s'agit maintenant de sortir de la crise avant de pouvoir entreprendre les réformes dont le pays a besoin. L'objectif des mois à venir doit donc être l'organisation d'élections crédibles avec le soutien de la communauté internationale, qui seules permettront au pays de retrouver un ordre constitutionnel et de relancer son économie.
Les trois mouvances de l'opposition représentant les anciens présidents sont de plus en plus marginalisées et il est à présent évident que le régime ne reculera plus dans l'exécution de son processus – que le référendum constitutionnel a pour objectif de légitimer. Les autorités, de leur côté, affirment qu'elles souhaitent des élections crédibles, notamment afin de regagner la reconnaissance internationale. A cette fin, elles doivent offrir à l'opposition les garanties nécessaires à un environnement électoral équitable et les respecter.
Les acteurs politiques malgaches et la communauté internationale devraient donc adopter l'approche suivante :
  • La priorité pour la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) – avec le soutien du Groupe international de contact – et les autorités en place devrait être de parvenir à un accord sur les conditions d'un soutien international au processus électoral. Ce soutien devrait être soumis au respect de certains engagements par le régime, tels que la confirmation de la non candidature d'Andry Rajoelina ainsi que de ses ministres aux élections, la révision du calendrier électoral, la transparence en matière de contrats signés par les autorités, l'absence de prises de décisions en dehors du domaine des affaires courantes, la prise de mesures d'amnistie telles qu'envisagées dans les précédents accords, et un audit des finances publiques par les institutions financières internationales. Si ces engagements ne sont pas respectés, les sanctions individuelles de l'Union africaine (refus de visas, gel des avoirs financiers dans des établissements bancaires étrangers) devraient être relayées par l'Union européenne, les Etats-Unis et d'autres – si possible par l'entremise du Conseil de sécurité des Nations unies.

    • Des élections crédibles, totalement indépendantes des autorités, devraient être organisées le plus rapidement possible. La Commission électorale nationale indépendante (CENI) devrait être en charge de l'ensemble du processus et devrait bénéficier des ressources et de l'expertise nécessaires à leur organisation. Elle devrait cependant être remaniée afin d'être acceptable par toutes les parties, en particulier par l'opposition, qui devrait occuper les sièges dont elle dispose en son sein.
    • Le Secrétariat des Nations unies devrait rapidement envoyer une mission d'évaluation électorale afin de déterminer quand des élections crédibles peuvent être organisées, et le calendrier électoral devrait être revu en fonction de ses conclusions. Sur la base de cette évaluation, les Nations unies devraient déployer une équipe de conseillers afin de renforcer les capacités de la CENI. Cette équipe devrait lui procurer un soutien important, particulièrement pour la refonte de la liste électorale, la logistique, la formation de toutes les personnes impliquées dans le processus, ainsi que pour l'éducation civique nécessaire. La possibilité de nommer des membres internationaux au sein de la CENI devrait également être envisagée afin de renforcer sa crédibilité et sa neutralité. Les Nations unies devraient coordonner leur action avec les autres organisations internationales capables de fournir une assistance électorale. Des observateurs internationaux devraient également être déployés rapidement.

      • Le Groupe international de contact devrait se réunir le plus rapidement possible pour que la communauté internationale commence à agir de manière coordonnée. La Chine, membre du groupe, devrait accorder sa position économique à sa position politique officielle. La mise en place du bureau de liaison de la SADC devrait être accélérée afin de suivre le processus de près et son envoyé spécial devrait travailler en étroite collaboration avec une équipe politique des Nations unies.
      Antananarivo/Nairobi/Bruxelles, 18 novembre 2010

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